De sororité et de partage

Ceux qui me connaissent personnellement savent que j’ai un frère, un mari, deux fils, etc. Le chromosome Y est très répandu autour de moi. Ce fait ne m’a jamais touché jusqu’à récemment.

Ces derniers temps, le besoin d’avoir une sœur se fait ressentir, presque viscéral. Ne me demande pas pourquoi…ou plutôt si, je pense avoir quelques pistes de réponses :

Le chemin que j’ai entamé depuis un peu plus d’un an n’est pas semé d’embûches, mais il est très solitaire. Autour du monde, beaucoup de gens vivent ce que je vis mais en même temps, chaque chemin est différent et les expériences sont difficiles à partager. Quand on décide d’être soi-même, sans filtre, il n’y a pas de guide. Personne pour montrer la voie à suivre, parce que chaque voie est unique. On s’apprend et fait connaissance avec soi-même sur le tas et c’est un processus disons…isolant.

Le fait de partager sa vérité et d’enlever le masque est très libérateur, mais rend également très vulnérable. Se mettre à nu, être transparente et se laisser voir telle qu’on est et partager sa vraie nature, me donnent un sentiment de fragilité qui est assez nouveau pour moi.

Heureusement, j’ai tout de même une ou deux personnes autour de moi avec qui je peux en parler et je l’expliquais hier à l’une d’entre elle justement, cette sensation de dépouillement encore inconfortable pour moi, et cette envie d’avoir une sœur avec qui partager ces moments et ces changements assez intimes.

Une sœur avec qui je pourrais parler de ma dimension et ma vie de femme noire et africaine, de mes cheveux et autres attributs physiques qui font que parfois je suis regardée et traitée différemment. Une sœur qui ne me demanderait pas d’arrêter de jouer la victime et avec laquelle je n’aurais pas peur d’en parler, sans peur de la heurter dans sa « fragilité de personne blanche ».

Une sœur avec qui je pourrais parler de mon couple mixte, de mes enfants métissés, sans affronter les jugements et les questions de légitimité de notre relation, les problématiques de pureté de notre « race » que je suis en train de trahir et autres idées pleines d’ignorance et de préjudices.

Une sœur avec qui je pourrais parler de mon chemin spirituel, sans qu’elle me demande si tout se passe bien au nom de Jésus, et d’ailleurs, c’est quand la dernière fois que j’étais à l’église ?

Une sœur à qui je pourrais me confier sans faire face aux jugements ou aux regards curieux, circonspects ou moqueurs. Une sœur qui me tirerait les cartes quand je suis dans le doute et à qui je ferai des soins quand elle sera fatiguée, une sœur avec qui je pourrai voyager, sur terre et dans le ciel, danser au clair de lune, chanter et réciter des mantras, se donner des idées business et rire et partager nos lectures. Tout simplement.

Est-ce réellement si simple ? Le réflexe de la vie privée, de ne pas s’étaler, de ne pas parler de soi, de ses problèmes, de ses victoires par peur d’être taxé de m’as-tu vu ou de pleurnichardes, est ce qui a fait qu’en partie nous portions des masques, qui au fur et à mesure des années nous enferment et nous isolent.

Des problèmes de couple ? surtout ne pas en parler, ne pas partager, en dire le minimum pour éviter les moqueries ou les jugements, souvent à notre détriment quand on est une femme. Des problèmes de maternité, ne même pas penser à les invoquer. Nous sommes femmes, donc mères. Basta. Pas question d’avoir des états d’âmes, des doutes et encore pire, des incapacités à ce niveau. Un bout de dépression se pointe ? Aaahhh, un truc de blancs ça ! où que t’as vu qu’un noir déprime ? Tais-toi et avance.

Les exemples tels que ceux là sont nombreux. On ferme la bouche, haut les cœurs et on avance. Seules. Les amies, les sœurs ? Sous certains cieux, même ce concept est mis à mal. La sororité n’existe plus, on a peur d’autres femmes. Elles vont nous envier (au mieux) ou nous piquer (au pire) le petit ami, elles vont nous envier notre vie, nos enfants, notre travail, alors on se barricade. On n’a pas d’amies, ni de sœur, de compagnes de route. On évite de s’attacher, alors on fait chemin seule. N’est-il pas dit qu’il vaut mieux être seule que mal accompagnée ?

Le concept de sororité a tellement été galvaudé que les femmes, à part dans des relations avec des liens de sang à la base, en voulant se protéger, sont devenues recluses. Beaucoup d’entre nous avancent seules, divorcent, perdent des enfants, tombent en désamour, subissent des relations abusives (à la maison ou au bureau) sans avoir une personne, une autre « elle » avec qui elle pourront partager ce qu’elles vivent, en toute confiance. Parce qu’elles ne veulent pas être poussées plus bas qu’elles ne le sont déjà, elles ne montrent aucune vulnérabilité, aucune fragilité et ne lancent aucun appel à l’aide.

Ma sœur, mon refuge. Comment recréer ce type de relations autour de nous, dans nos sociétés ? comment rétablir la confiance, revenir au cœur de cette idée de solidarité féminine ? Comment éduquons-nous nos filles ? Les encourageons-nous à se confier ouvertement à leurs amies, ou alors est-ce qu’on leur demande de se méfier, de ne pas tout dire et de ne pas tout montrer ?

Bref, trêve de papotage pour moi. Je te souhaite d’avoir auprès de vous, des amies, des sœurs, des personnes refuge qui t’épaulent, te consolent et t’encouragent, tout le long de ton chemin.