D’identité et d’appartenance et de passeport

Beaucoup d’entre vous savent maintenant, à quel point mes projets cet été ont été compromis, pour cause de paperasse, pour cause de pas de passeport, passeport Camerounais. Passeport, ce sésame qui me permet de m’adonner à l’une de mes plus grandes passions, les voyages. Cette période pendant laquelle j’en ai été privée m’a fait réfléchir sur ce que ce passeport représentait pour moi, notamment parce que beaucoup dans mon entourage m’ont toujours encouragé à faire la demande du passeport Européen auquel j’ai légalement droit. C’est une rengaine que j’entends depuis plus d’une dizaine d’années, et l’incident de cet été a remis au goût du jour cette éternelle discussion.

Comme pour beaucoup de choses dans ma vie en ce moment, j’ai pris le temps d’y penser, de méditer dessus, et de m’interroger sur ce que cette histoire de passeport soulevait en moi. Pourquoi cet attachement à un document qui quoiqu’utile, me donne régulièrement plus de maux de tête qu’autre chose.

Ce qui est ressorti de mes réflexions, c’est que ce passeport me parlait d’appartenance, d’identité, de voyages et de liberté. OK. Décortiquons tout cela. Voyages et liberté, oui. Comme tous les passeports. Ceux qui me connaissent savent à quel point ce sentiment de liberté est important pour mon équilibre. Imaginer que je ne puisse pas voyager, me déplacer au gré de mes humeurs et découvrir le monde me donne des sueurs froides et m’angoisse. J’analyserai cette réaction dans un autre article, là n’est pas le sujet du jour. Bref, oui, tous les passeports à priori me procureraient cette sensation de liberté.

En parlant d’identité et d’appartenance cependant, je touche du doigt, ou de la pensée, la raison ou les explications de mon attachement à mon passeport Camerounais. Au-delà des aspects pratiques soulignés par ma famille et mes amis, tels que le fait qu’un autre passeport serait plus pratique, m’ouvrirait surement plus de portes, et que ce n’est qu’un document qui me faciliterait la vie, je me suis rendu compte que mon lien avec mon passeport allait au-delà de simples considérations pratiques.

Mon passeport est synonyme d’ancrage. D’ancrage et de légitimité. Mon passeport représente la relation d’amour et de haine que j’entretiens avec mon pays. Je me faisais la réflexion dernièrement que mes sentiments avec mon pays ressemblaient à ceux d’une personne en pleine relation abusive. « Je souffre, mais je ne laisse pas » comme on dit par chez moi. Je subis sa violence, mais je n’imagine pas une seconde lui tourner le dos. Je subis sa violence parce que j’en rentre déprimée après chacun de mes séjours. Je subis sa violence parce que je le vois dépérir, se mourir de voir ses enfants être enfermés de plus en plus dans un pays qui ne leur offre aucun espoir. Je subis sa violence parce mes parents, nos aînés semblent saisis d’impuissance face à la déliquescence « du berceau de nos ancêtres ». Je subis sa violence, parce parfois, mon passeport me ferme plus de portes qu’il ne m’en ouvre.

Je n’imagine pas une seconde lui tourner le dos, parce que c’est à cet endroit que je me suis ancrée pour la première fois. C’est à cet endroit que mes racines ont commencé à pousser. C’est parce que je me sens tellement bien ancrée en cet endroit que j’ai tellement de plaisir à voyager, explorer le monde, vivre ailleurs. C’est de cet endroit que se déploient mes ailes. C’est de cet endroit que ma créativité prend sa source. C’est vers cet endroit que ma spiritualité me pousse. C’est à cet endroit que je me sens vivante, c’est cet endroit qui attise le feu de la vie en moi. C’est cet endroit qui me permet de transmettre à mes enfants certaines valeurs, une certaine vision de la vie. C’est cet endroit qui leur permet de toucher du doigt d’autres réalités, de s’émerveiller de la diversité du monde, de la beauté dans la pluralité des expériences de la vie. La transmission de la magie de la vie, notion importante pour moi.

C’est également cet endroit qui me donne la légitimité d’aborder certains sujets. Des sujets difficiles.  Des sujets qui me prennent les tripes, qui mettent la lumière sur mes parts d’ombre, qui provoquent en moi des sentiments de violence, de rejet, et de division.

Des sentiments assez complexes me lient donc comme on peut le constater à ces quelques feuilles jaunes.

Alors, obtenir un second passeport voyez-vous…

Mes amis me disent qu’obtenir un deuxième passeport ne m’enlèverai rien de tout cela. Que tout ça n’est que papiers.

Pour moi apparemment non, ce n’est pas si simple. Admettons qu’ils aient raison, mes amis. Qu’est-ce qui pourrait m’assurer la sécurité de mon ancrage, à part ces bouts de feuilles. Ma famille ? ma foi ? Je me suis également demandé si un autre passeport s’il ne m’enlève pas mon ancrage, me donnerait d’autres racines. Puis-je créer d’autres racines, avoir d’autres racines. Oui ? Non ? Peut-être ? Serais-je toujours légitime ? Qu’en serait-il de ce que je considère comme une partie de mon identité ? Quelle est mon identité ? Je suppose que ne n’aurais pas de réponse à ces questions tant que je n’aurai pas ce deuxième passeport.

Me poser ces questions m’a aussi rappelé mon message, mes valeurs de fraternité, d’inclusion et d’Ubuntu. Est-ce que ces deux passeports ne représenteraient pas également l’intégration de ces valeurs d’ouverture au monde ? Les deux passeports me donneraient-ils des ailes plus grandes, me permettraient-elles de voyager plus vite, plus loin ? M’aideraient-elles à porter le message plus loin ? Me permettraient-elles de m’enraciner plus, mieux ? Plus j’ai de racines, mieux c’est ? Non ? Moi qui me targue d’être une Multi-tout, deux (ou plusieurs) passeports ne seraient-ils pas le signe matériel cette facette de moi ? Encore une fois, je ne sais pas. Je ne sais pas quand je saurai ou si je saurai. Cette réflexion sur mon passeport et ce qu’il représentait ne m’a pas apporté les réponses à ces questions en tout cas.

Ce que je sais, c’est que je suis dans mon année des OUI. Oui aux expériences nouvelles. Prendre des décisions motivées par l’amour, plutôt que par la peur. Motivées par mes valeurs, plutôt que retenues par peur du manque, par peur d’absence ou par peur de perte.

Sur ce, dans les mois qui viennent, je vais donc aller tester mes valeurs de fraternité et d’amour avec différentes administrations. La nouvelle expérience et les nouveaux apprentissages donneront sûrement vie à d’autres dialogues avec Moi-même, d’autres articles. Comme d’habitude, je vous tiens au courant 😊