Des Hot-dogs Plutôt Que la Guérison : Pourquoi Préfère-t-on Financer des Fêtes Plutôt Que du Sens

Je me souviens de ce jour comme on se souvient d’un bleu.
J’organisais TEDxCadjehounWomen, une scène pensée pour amplifier la voix, la vision et la puissance des femmes africaines. Des semaines à frapper aux portes, à envoyer des présentations, à pitcher du sens à des gens qui semblaient ne pas l’entendre. Certains souriaient poliment. D’autres disparaissaient. Beaucoup me demandaient de prouver une “visibilité” qu’ils avaient déjà, ou un “retour sur investissement” que l’on ne mesure pas avec des likes, mais avec des frissons ou des silences habités.

La veille de notre événement, un concert s’annonçait en ville.
Les billets sont partis comme des petits pains. Pas de pitch. Pas de dossier. Juste du son et des promesses de “bonne ambiance”. Et les sponsors ?
Les mêmes qui ne m’avaient jamais répondu étaient soudainement disponibles, affiches prêtes, gobelets brandés en main.

Je l’ai vécu encore plus tard.
Avec Afrolivresque, notre média dédié à la littérature africaine, je suis dans les tranchées. Convaincre que les livres écrits par des Africains pour des Africains comptent. Que la culture, ce n’est pas un luxe. Cette semaine encore, l’une des entreprises que j’avais sollicitée a sponsorisé une fête géante à Washington DC.

Soyons clairs : je ne suis pas contre la musique, la joie, ou les fêtes.
Mais il faut qu’on parle de ce qu’on choisit de financer, et de ce qu’on laisse mourir de soif.

On vit dans un monde où l’on vend l’amusement comme du popcorn, et où l’on peine à faire passer l’éducation. Ce n’est pas qu’une question de goût. C’est une question de priorités.

L’entertainment promet un répit. Un souffle. Un beat.
L’éducation pose des questions. Parfois celles qui dérangent. Elle invite à réfléchir, à se souvenir, à se repositionner.

Alors on choisit la facilité. On dit oui au concert, non à la conscience collective. Parce qu’il est plus simple de danser que de creuser. Plus facile d’oublier que d’affronter. Plus rentable de financer des fêtes que d’alimenter la libération.

Oui, c’est de l’évasion.
Mais c’est aussi plus profond que ça. C’est le symptôme d’un monde qui préfère la distraction à la profondeur. Qui traite la guérison, la mémoire, la littérature comme des “bonus”.
Un monde qui refuse encore de voir le savoir africain comme central.
Qui oublie que chaque révolution a commencé par une histoire, pas par une story.

Il y a une violence dans ce qu’on choisit d’ignorer.
À chaque fois qu’un bailleur de fonds tourne le dos à une initiative de santé mentale pour sponsoriser un cocktail mondain, c’est le silence qu’il choisit.
À chaque fois qu’on demande à des créateurs africains de réduire leur vision pour “mieux coller aux attentes”, pendant que le champagne coule ailleurs — c’est un choix politique.

L’ignorance est peut-être un confort.
Mais de qui ? Et à quel prix ?

On ne peut plus danser au bord du gouffre en fermant les yeux.
On ne peut plus continuer à appeler “stratégie” ce qui n’est que divertissement.

Il nous faut des partenaires courageux.
Des mécènes avec de la mémoire.
Des alliés qui comprennent que le repos ne se trouve pas que sur une piste de danse, et que la transformation demande plus qu’une playlist.

Alors oui, dansons.
Mais investissons aussi dans ceux et celles qui construisent du sens, pas juste de l’ambiance.
Parce que le monde n’a pas besoin de plus de bruit. Il a besoin de plus de conscience.

Et certains d’entre nous ne sont pas venus pour distraire.
Nous sommes venus pour réveiller.