L’éducation par l’humiliation : nouveau sport national des réseaux sociaux

Il y a une nouvelle mode qui s’installe tranquillement sur les réseaux sociaux.
Un nouveau type de pédagogie.
Pas celle de la bienveillance.
Pas celle de l’écoute. Non.
Une pédagogie par l’humiliation publique.

Je tombe dessus de plus en plus souvent.
Des parents qui filment leurs enfants, non pas pour garder une trace tendre d’un moment de vie… mais pour exposer leur vulnérabilité, pour tourner en dérision leurs erreurs, leurs larmes, leurs maladresses.

Il y a quelques semaines, je suis tombée sur une vidéo qui m’a laissé un goût amer. Une adolescente, le cœur en miettes après une rupture amoureuse, pleurait toutes les larmes de son corps. Et ses parents riaient. Plus elle pleurait, plus ils se moquaient. Plus elle craquait, plus ils filmaient. Puis ils ont mis la vidéo en ligne.
Offerte en pâture à nous tous.
Spectateurs involontaires.
Juges anonymes d’un moment qui n’aurait jamais dû sortir du salon familial.

J’imagine que leur intention était de lui faire comprendre que ses études passaient avant un garçon. Que son avenir valait mieux que ses larmes d’adolescente amoureuse.
Mais pourquoi fallait-il que le monde entier assiste à la leçon ? Pourquoi fallait-il que l’intimité devienne spectacle ?

La semaine dernière, c’était une autre scène.
Un autre décor.
Un autre enfant livré à la vindicte numérique.

Une mère africaine, en France, criait sur son fils de 12 ans. Le garçon s’était excusé auprès d’un ami après que sa mère ait crié sur lui. Et ses mots résonnaient douloureusement :
“Désolé, ma mère est africaine.”
Derrière cette phrase, il y avait toute la complexité d’un enfant qui grandit entre deux mondes, entre deux appartenances, entre deux systèmes de valeurs.
Au lieu de prendre le temps de parler avec lui, de l’aider à apprivoiser ses racines, à comprendre qu’on peut être africain sans hurler, qu’on peut être français sans renier ses origines, la scène est devenue virale.

Et aujourd’hui encore, une nouvelle vidéo.
Une maman qui gronde sa petite fille de 6 ans parce qu’elle a découpé sa robe avec des ciseaux.

Et je me suis posé cette question toute simple :
Mais pourquoi nous montrer ça ?
Quel enfant de 6 ans n’a jamais fait une bêtise pareille ? Quel est le but, sinon exposer un moment banal, sans aucun intérêt public, sinon celui de nourrir l’algorithme ?

Je ne parle pas ici de parentalité parfaite. Qui suis-je pour juger ?
Nous perdons tous patience. Nous avons tous nos limites.
Mais il y a une différence majeure entre poser des limites à son enfant… et en faire un spectacle pour les réseaux.

Parce que ce que beaucoup oublient (ou ne veulent pas voir) c’est que qu’Internet ne pardonne pas.
Internet ne gomme pas.
Internet n’oublie jamais.

Ces vidéos, une fois publiées, ne vous appartiennent plus. Elles peuvent devenir des mèmes. Des moqueries. Des stigmates numériques qui poursuivront ces enfants bien plus longtemps que leur crise de larmes ou leur bêtise passagère.

Dans un monde où l’intelligence artificielle est capable de tout recycler, de tout déformer, de tout réutiliser… faut-il vraiment exposer nos enfants ainsi ? Les inscrire à leur insu dans une mémoire collective qui ne leur laissera aucun droit à l’oubli ?

J’aime rire. J’aime l’autodérision. J’aime la légèreté.

Mais pas à n’importe quel prix.

Pas au prix de l’intimité.
Pas au prix de la dignité.
Pas au prix de nos enfants.

Les réseaux sociaux ne sont plus les espaces éphémères qu’ils étaient il y a vingt ans. Ce que nous publions aujourd’hui restera. Visible. Retrouvable. Exploitable.

Alors je pose la question :
Dans quel monde numérique voulons-nous habiter ?
Quelle trace voulons-nous laisser de notre rôle de parents ?
Quel héritage digital construisons-nous ?

Parce que je suis convaincue d’une chose :

L’amour n’a pas besoin de spectateurs.
Le respect n’a pas besoin de témoins.
Et les plus belles leçons qu’on offre à nos enfants sont souvent celles que personne ne verra jamais.