Mon obsession pour l’héritage de l’histoire
Certaines personnes sont obsédées par la mort, d’autres par le vide ou par la hauteur.
Moi, ce qui sous-tend mes actions et mes activités, c’est le désir de voir mon histoire et l’histoire de mon peuple rester dans nos mémoires. Se réapproprier nos histoires, les réécrire et les raconter de notre point de vue.
L’héritage de l’histoire. Celui qui m’a été légué, celui que je veux léguer. C’est une histoire de contribution et d’empreinte. Empreinte qu’ils ont laissée, empreinte que je vais laisser.
Cet appel qui me revient souvent, comme une piqure de rappel, au détour d’une conversation ou d’un évènement, et je l’ai ressenti de plus en plus profondément au fil des années.
En 1999, je suis étudiante aux Etats-Unis. Lors d’un cours de géopolitique, je réalise ébahie, que l’histoire de tous les continents soit abordée, et l’Afrique est comme absente de toutes les cartes et de tous les débats. Un continent invisible et invisibilisé. Une histoire tue, absente. Fraichement arrivée de Côte-d’Ivoire, la chose me marque. C’est à ce moment, je pense que j’entends l’appel pour la première fois.
En 2006, toujours au Etats-Unis. Je rentre dans un magasin, pour assouvir mon envie et ma passion de mode et de belles choses. En plein centre commercial, j’ai la nostalgie soudaine des parures de chez moi. A ce moment, je ne suis pas retournée en Afrique depuis trois ans. Je ressens le besoin de me rapprocher un peu de chez moi, à travers mes vêtements et là, la frustration m’étreint de nouveau. Les Pathé’O et autres Alphadi, où sont-ils ? La mode Africaine ne peut-elle pas être partagée, mondialisée, commercialisable, VISIBLE ? Un an plus tard, je suis consultante mode, représentante de créateurs de mode Africains aux États-Unis.
En 2007, je passe la soirée chez une amie d’origine Malgache. Elle est en couple mixte. Nous écoutons de la musique de son pays. Sa fille de neuf ans s’approche de nous, et je lui demande si elle aime bien le son qui passe. Elle me répond qu’elle ne connaît pas vraiment. « C’est la musique de maman » me dit-elle. Je sursaute intérieurement. Et je me dis que si j’ai la chance d’avoir un jour des enfants, ils ne diront pas « c’est la musique de maman ». Je me fais la promesse à ce moment, qu’ils sauront que la musique de maman est aussi la leur. Complètement. Intégralement. Profondément.
2017. Comme beaucoup d’enfants, mes garçons de 9 et 7 ans, sont accros à l’univers Marvel et sa pléthore de supers héros. Superman, Batman, Spiderman et tutti quanti. En plein milieu d’un film mettant en scène l’un de ces super héros, Hugo se retourne vers moi et me demande : « maman, n y’a-t-il pas de super-héros camerounais ? » Cette question, je la reçois en plein cœur. Peut-être parce qu’elle me rappelle que j’ai encore beaucoup à faire dans mon travail de transmission de culture et de valeurs. Valeurs qui permettraient à mes enfants d’être sûrs d’eux-mêmes, d’avancer avec confiance dans un monde où il peut être compliqué de se trouver. Sur le moment, je n’ai pas de réponse claire et immédiate à cette question. Je leur dis « bien sûr qu’il en existe, on n’en fait tout simplement pas des films, comme celui que vous êtes en train de regarder. » Cette scène a pour effet deux choses : la première, c’est que je demande immédiatement aux enfants s’ils veulent que l’on écrive une des histoires que je leur racontais le soir, histoire de créer nos propres super héros. Ils acceptent la suggestion avec enthousiasme. L’autre effet de cette conversation, c’est que je me mets à chercher des livres pour enfants mettant en scène des héros, des enfants venant d’Afrique. Je sais qu’il en existe. Après tout, j’ai lu petite, les grands classiques tel que Leuk le lièvre de Léopold Sédar Senghor, et je les avais lus aux enfants. Je cherchais cependant des histoires un peu plus modernes, plus proches du monde des enfants. De ces deux effets, je mets le second en action tout de suite, et je range le projet de livre dans un tiroir (pendant quelques mois).
Mes recherches de super héros africains m’ont ouvert les yeux sur un monde dont je n’avais pas vraiment idée. J’ai réalisé que d’autres familles, d’autres mamans avaient fait les mêmes constats, et comme moi avait décidé de prendre le taureau par les cornes, d’écrire des histoires pour leurs enfants, pour les miens, pour les nôtres. Des sujets tels la confiance en soi, l’estime de soi, sont des thèmes et des questions universelles pour lesquelles nous voulons tous donner des outils à nos enfants. Dans un monde où la différence est pointée du doigt, il est impératif (à mon sens) de rappeler à nos enfants ce qui nous rapproche plutôt que ce qui nous sépare, leur expliquer que quoi qu’il arrive, la lumière est toujours plus forte que l’ombre, que les différences doivent être vues comme des cadeaux et non comme des bagages.
2019. Il est temps de publier le tome 2 de Kinlam et les animaux de la forêt, livre d’enfants que j’ai publié en autoédition en 2018. Avec Kinlam et les animaux de la forêt, j’avais espéré avoir répondu à la demande de mes fils. J’avais espéré avoir créé un personnage, une héroïne à laquelle les enfants peuvent se reconnaître et s’attacher. J’avais espéré les avoir fait voyager à travers leur imagination, vers un lieu enchanté, magique, où leur âme d’enfant leur aurait permis d’apprendre et de découvrir, de s’étonner et de s’émerveiller. Le bilan était mitigé. Mes enfants étaient heureux, oui. Mais je n’avais pas pu partager l’ouvrage autant que je l’aurais voulu. Les efforts pour commercialiser et faire la publicité du tome 1 du livre me demandaient plus d’énergie que je ne pouvais en donner. Autour de moi, j’avais également fait le constat que pour les mêmes raisons d’autres auteurs jeunesse Afro-descendants, s’étaient essoufflés à être à la fois auteurs, commerciaux, imprimeurs, et relais publicitaires. David contre Goliath. Lorsque certains de ces ouvrages sont portés au niveau national Français, ils se limitent également à un lectorat venant principalement de la diaspora Africaine en Europe.
Quid du lectorat jeunesse Africain ? Sur le continent, la question de représentativité dans la lecture est tout aussi important. L’accès aux auteurs afro-descendants, griots des temps modernes et porte-paroles de l’histoire reste limité. Sur les bancs des écoles des villes et des villages « Martine à la neige » reste populaire. Dans les livres d’enfants, les personnages vivent ailleurs, les références sont autres. A la télévision et sur les panneaux publicitaires, les adultes voient passer des messages qui promeuvent des marques de crèmes éclaircissantes et le soir au journal, on déplore cette jeunesse sacrifiée en Méditerranée.
En 2019, je ne publie pas le tome 2 de Kinlam et les animaux sauvages. Parce que j’entends de nouveau l’appel, très clairement, très succinctement. Parce que j’ai la possibilité de ne pas faire que pour moi et pour mes enfants. Parce que je suis toujours obsédée, c’est le mot par ma contribution au monde, au continent sur lequel je suis née. Parce que j’ai décidé que mon empreinte, ce sera celle-là : African Propaganda, Le labo des faiseurs d’histoires.